20/07/2009

Stratton, 11 juillet

Je ferme la page, laisse le héros a l’hôpital américain de Milan et me retrouve sur la plage de galets où j’ai commence l’après-midi. Un groupe de Petites Sternes (Sterna antillarum) passe au-dessus de moi sans me voir. Elles volent contre le vent et je les vois battre des ailes avec force, lentement. Celle qui a un poisson dans le bec quitte le groupe d’un coup d’aile et se laisse emporter par une rafale au-delà d’un buisson. Je l’ai perdue de vue mais la sais en train d’appeler son petit, petite boule blanche sur la plage de sable gris. Il est six heures du soir. Il faut que j’aille faire le relevé météo.

8h20. Le soleil vient de se coucher au-dessus du continent. Les sternes font une dernière ronde avant de retrouver leur plage. Un groupe d’ibis (Plegadis falcinellus) rejoint l’étang qui sépare la héronnière du reste de l’île. Quelques cormorants à aigrettes (Phalacrocorax auritus) passent, le cou tendu, volant au ras de l’eau. Les couleurs des oiseaux se perdent dans la lumière qui diminue ; ils ne sont bientôt plus que des silhouettes sombres qui frôlent l’horizon.

Stratton est située dans la baie de Saco, une demi-heure au Sud de Portland. Posée à l’embouchure de la Nonesuch River, un peu plus de deux kilomètres au large de Prout’s Neck, elle appartenait à un obscur colon anglais qui y avait installé, au XVIIieme siècle, sa ferme, son verger et un troupeau de moutons. De la ferme, il ne reste qu’un mur de pierres autour du verger ; les pommiers, qui n’ont pas été taillés depuis, abritent la colonie d’échassiers entre leurs vieilles branches. Quant aux moutons, ils seraient les bienvenus pour limiter la propagation des buissons de framboisiers et de crucifères qui ont pris d’assaut l’ancienne prairie. Mais ce n’est pas à l’ordre du jour : l’île a été rachetée en 1986 et transformée en refuge pour la faune sauvage. C’est là la « chance » de Stratton : sa conservation est financée par les dons de la Société Naturaliste de Prouts Neck, une étrange collection d’ornithologues amateurs, acteurs en vacances, millionnaires en polo blanc héritiers de fortunes amassées grâce au pétrole et aux voitures, qui se sont pris de passion pour cette île afin de pimenter leurs ennuyeuses journées de rentiers, entre deux parties de tennis. Mais ils nous laissent utiliser les douches du Yacht Club et nous apportent des tartes, alors…

08/07/2009

Jenny Island, 5 juillet

Ma rencontre avec Jenny a été très brève - on peut dire que l'on s'est juste croisés - mais je garderai un très bon souvenir d'elle.

J’avais quitté Matinicus et la haute mer le jour précédent, et le retour au continent m’avait plus fatigué que le mois passé à côté de la corne de brume : le monde, les voitures, les touristes, la montre et l’agenda ne m’avaient pas manqués. Je me levais le matin avec un mal de tête carabiné. Nous prîmes la route vers neuf heures après un coup de fil de la maison. Je m’endormis rapidement entre deux bras de mer, et me réveillai avec la douce voix du GPS qui nous sommait de prendre la première route. Jeff nous attendait près du bateau. Carrure de joueur de football américain, barbu, une vieille casquette visée sur ses cheveux longs, il nous accueillit en souriant.

Nous transbordons les sacs de provision et l’eau de la voiture au zodiac et filons sur la baie. Un peu plus loin, Jenny, jupe grise et haut en camaïeux de vert, nous attend elle aussi. Nous accostons à son côté. A peine ais-je posé pied à terre que sa garde rapprochée m’attaque : nous vivons au milieu d’une colonie de sternes communes. Heureusement, les territoires sont bien distincts : à nous le milieu de l’île, étendue herbacée d’où émergent les capitules fanés des grandes berces et, parmi elles, notre campement ; à elles, les rochers de la plage et la bande de un ou deux mètres qui fait la transition entre pierres et plantes.

Une île d’un hectare, quelques centaines de sternes, deux biologistes. Le décor est planté, reste l’atmosphère. Le continent et ses nombreux bras nous entourent en un seul horizon. Sur l’arc de cercle nord (de l’ouest au sud-est), les courbes de la côte, où l’océan rencontre les granites affleurants, sont surmontées de la ligne en dent de scie des conifères. Au sud, l’océan s’ouvre entre deux îles. Autour de nous, le crépitement des poussins qui interpellent leurs parents rappellent le crissement des criquets dans l’herbe grillée de juillet. Et au-dessus de nous, les nuages et leur pluie qui tombe sans cesse. Bienvenue sur Jenny Island.

Hier, pour le 4 juillet, commémoration de la déclaration d’indépendance des Etats-Unis, le soleil apparut et nous permit de travailler un peu. Apres trois heures d’observation des aller-retours des parents au nid, le bec chargé de poissons dans un sens et vide dans l’autre, et des bonds des poussins qui se pressent, s’agitent et courent en tous sens pour recevoir un poisson aussi grand qu’eux qu’ils avaleront d’un trait, nous commencions à mesurer la croissance des jeunes lorsque l’orage est arrivé. En deux minutes, des trombes d’eaux s’abattaient sur nous ; en cinq minutes, les éclairs illuminaient les nuages et la grêle venait frapper l’île ; en dix minutes, tout était fini. Le soir même, nous regardions les feux d’artifice enflammer l’horizon.

Ce soir, nous profitons du coucher de soleil, silencieux. Je regarde un vol de moucherons danser dans la lumière rouge. De l’autre côté, la lune, presque pleine, se lève. A sa droite, des retardataires craquent leurs derniers feux d’artifices. Bienvenue sur Jenny Island.