13/08/2009

Eastern Egg Rock, 27 juillet

Juliet, emmitouflée dans son sweat à capuche aux couleurs des Red Sox, éteint la radio. Les Bostoniens viennent de perdre. Mauvaise journée. L’orage a éclaté vers dix heures, juste après que nous ayons placé les caisses en bois qui nous servent à piéger les macareux. La matinée avait pourtant bien commencé : à six heures, le brouillard s’évaporait et les dernières couleurs du lever de soleil donnaient une teinte rosée aux blocs de granite. Les rayons obliques pénétraient dans les terriers et les oiseaux en sortaient, l’un après l’autre. Le va et vient entre l’océan et l’ile commençait.

Sandy me rejoint à mon poste d’observation : il lui restait un macareux à photographier avant de quitter l’ile dans l’après-midi. Photographe amateur, il profite de sa retraite pour aider le projet en tirant le portrait des macareux qui ont été adoptés à travers le programme "Adopt A Puffin". Celui qu’il cherchait, bague T (lettre noire sur fond blanc) à la patte gauche, n’a pas niché cette année, mais il apparait parfois dans la colonie, près de son ancien terrier. L’oiseau se déplace en sautant parmi les rochers, et j’entends le clic de l’obturateur qui le poursuit.
Juste après que Sandy m’ait quitté, une averse se détacha sur l’horizon : le rideau sombre de la pluie avançait en écrasant les vagues. Un bateau de pêche qui tentait de le prendre de course fut rapidement rattrapé et avalé par la gueule béante de l’orage. Quelques minutes plus tard, l’averse fouettait la cote ouest de l’ile. Les oiseaux, habitués des tempêtes hivernales, s’accroupirent face au vent et tournèrent la tête d’un air stoïque, le bec sous l’aile. Les gouttes de pluies glissaient sur leurs plumes et tombaient à leur côté.
Nous avons passé l’après-midi à l’intérieur, à l’abri de notre cabane de bois qui nous sert de cuisine, bureau, salle à manger, atelier ou local de rangement selon les jours et selon le temps. Paul, jeune artiste anglais en résidence, nous raconte ses aventures sur les falaises écossaises où il passe la plupart de son temps. Sandy décrit la traversée du canal de Panama en voilier, dans l’étrave d’un tanker chilien. Lizzie nous réchauffe pour un temps en nous baignant dans l’étouffante chaleur de l’été australien ; Juliet nous emmène au cœur de la luxuriante forêt panaméenne, découvrant derrière un mur d’arbres gigantesques et morts un désert de sable et de pierres, témoignage oublié des tests de l’agent orange en cours de création, quarante ans plus tôt. Je parle des périples passés et à venir. Chacun y va de son histoire, donnant plus de détails que sa mémoire n’en contient vraiment. Entre toutes, intactes, ce sont celles à venir qui font le plus rêver. L’averse, qui s’est transformée en orage, scelle notre destin pour l’après-midi et remet à demain le départ de nos hôtes.

Il est dix heures du soir, je ferme la porte de la cabane et pars rejoindre ma tente. Les nuages ont disparu et les étoiles recouvrent l’ile. Une étoile filante raye le ciel ; bientôt la fin de l’été.