08/09/2009

Montana, 23 aout

Tous les matins, nous avons rendez-vous devant l’épicerie, une maison en bois rouge digne des meilleurs westerns sur laquelle la piste souffle sa poussière. Des pick-ups rouillés toussent devant le porche à l’ endroit même où les chevaux qu’ils ont finalement remplacé auraient étés attachés, cinquante ans plus tôt. Nous remplissons nos bouteilles au robinet du tuyau d’arrosage et sautons dans le 4x4. Alors que le reste de la région est sillonné de routes goudronnées, il a été décidé que cette zone où nous travaillons resterait aussi intacte que possible afin de protéger les deux meutes de loups qui y ont établi leurs territoires. Ainsi, à l’exception des deux pistes caillouteuses que nous empruntons quotidiennement, tout est fait pour limiter l’accès au public.
En route, comme tous les jours, nous croisons les lièvres d’Amérique qui terminent leur nuit. Nous garons la voiture sur le bord du chemin, partageons le matériel et coupons à travers bois vers la prairie. Des feux de forêt ont ravagé la région en 2004, dévalant des montagnes à l’Ouest, brulant la plaine et les souvenirs des feux de 1986. La plupart des arbres sont encore sur pied, étranges sentinelles longilignes et grises comme les cendres, mais de nombreux troncs jonchent le sol et rendent la progression difficile. Le meilleur chemin est souvent celui utilisé par les loups, direct et rapide. Cependant, même s’il nous offre une meilleure vision d’ensemble, notre bipedisme nous complique parfois la tache lorsqu’agit de suivre une piste tracée au cordeau sous les chablis par une meute de quadrupèdes parfaitement adaptés à leur environnement : l’être humain s’est élevé dans les steppes et a du mal à enjamber des enchevêtrements de grumes. Et ce d’autant plus qu’il porte un sac a dos rempli.
A l’orée du bois, nous scannons la prairie avec nos jumelles à la recherche d’un prédateur éventuel. Hier deux oursons se précipitaient au sommet d’un arbre, leur mère invisible mais surement dans les parages. Nous continuâmes notre chemin, qui allait dans la direction opposée, gardant néanmoins un œil sur l’arbre. Aujourd’hui, la voie est claire : pas d’ours en vue et les deux loups équipés d’un collier émetteur ne sont pas ici. A mi-chemin de la zone où nous travaillons, j’aperçois un animal au pelage fauve, que je crois être un cerf, à trois cents mètres, de l’autre cote de la prairie. J’ai à peine le temps de le montrer à Alyson qui me suit qu’il a disparu derrière un bosquet de trembles. Alyson a passe l’été ici et connait bien les animaux qui paissent dans le coin. Celui-là était trop court sur pattes pour être un cerf ou n’importe quel autre ongulé. Un coyote ? Il en avait l’allure mais les coyotes ne s’aventurent pas dans le territoire des loups, au risque de se faire tuer. Un loup ? Elle n’a rien entendu sur la radio mais veut vérifier. Elle n’a pas le temps de sortir l’antenne de son sac à dos que Greg nous interpelle : un loup, gris, a cent mètres, nous fait face. Sur sa droite, un noir, un gris, et derrière eux, un autre loup gris. En comptant le premier que j’avais repéré sans le savoir, cela fait quatre loups à moins de trois cent mètres de nous. Ils ne sont pas agressifs, juste autoritaires, nous bloquant l’accès à leur aire de rendez-vous. Le plus proche est magnifique, c’est un jeune male, massif et à l’air robuste, au pelage en nuances de gris, oreilles triangulaires à l’écoute, une épaisse écharpe de fourrure autour du cou. Il nous observe d’un air sûr mais sans hargne.
Il n’y a aucune raison d’aller travailler au milieu de la meute, aussi nous rebroussons chemin, excités et heureux mais aux aguets. Alyson aperçoit un cinquième, noir, s’éloignant de notre chemin de retour habituel en courant au loin. Nous bifurquons dans la forêt et rejoignons la voiture aussi vite que possible. Une ou deux minutes plus tard, nous sommes en route vers une autre zone que nous espérons plus tranquille. Nous avons à peine fait cinq cents mètres que nous voyons un loup courir dans les bois. Il flotte en silence entre les arbres et disparait derrière une bosse aussi vite qu’il était apparu. Au même moment, une louve blanche surgit d’un taillis, se campe sur ses pattes antérieures et aboie vers nous en battant de la queue, signe d’énervement. Derrière elle, un jeune de l’année, plus petit mais déjà aguerri, observe avec intérêt. Nous ne sommes pas les bienvenus et on nous le fait savoir. Un autre adulte travers la piste derrière nous et nous accompagne sur une centaine de mètres avant de rejoindre le groupe. Nos vitres sont baissées et nous entendons les aboiement résonner dans le crépitement des graviers qui s’éparpillent sous les roues du 4x4.
Nous fuyons sans peur, seulement désireux de laisser les loups aussi tranquilles que possible, mais conscients de ce que nous venons de vivre, nos cœurs battent a toute allure. Un peu plus loin, les lièvres d’Amérique commencent leur journée.

01/09/2009

Du Maine au Montana, 17-20 août

Nous avons quitté Bremen le lundi, après avoir enregistré la voiture, vissé les nouvelles plaques d’immatriculation et dit au revoir à ceux qui n’étaient pas partis. Nous laissions les côtes boisées du Maine pour, j’espérais, les montagnes escarpées du Montana. Mon plan était de traverser tout le Nord-Est jusqu’au Canada, repasser la frontière US avec un permis de tourisme de trois mois, longer les grands lacs au plus près et filer à travers les Grandes Plaines du Nord jusqu’aux Rocheuses. Là, je devais retrouver ma superviseur le mercredi, devant l’épicerie du village, une clairière au bout d’une piste en graviers, dans l’immensité de la forêt nord-américaine. De notre côté, une Subaru Legacy break et verte achetée trois jours plus tôt à Belfast. Contre nous 2600 miles à faire en trois jours. Plutôt impossible.
Alors nous avons roulé. Descendus de Portland à Boston, remontés sur Albany puis visé plein Ouest vers Buffalo et Niagara Falls. L’Interstate 90 ouvrait une brèche béante que nous suivions à travers les forêts des Etats du Nord-Est. Ces terres autrefois déboisées s’étaient peu à peu recouvertes, au fur et à mesure que les villes attiraient dans leurs faubourgs les générations successives de fermiers.
Même forêts, même routes à quatre voies et leurs flots de 4x4 rutilants, même villes-araignées qui étendent leur toile de zones commerciales en quartiers résidentiels, le passage au Canada ne présenta rien d’exceptionnel, à part le retour au système métrique. Après trois heures de route entre le lac Erie et le Lac Huron, une heure de débats avec un douanier zélé qui faillit refuser l’entrée à Juliet dans son propre pays parce que son passeport avait moisi lors d’un précédent voyage au Mozambique, nous rejoignions le Michigan et les Etats-Unis.
Nous passâmes Chicago de nuit et Minneapolis sous la pluie. La radio annonçait des tornades dans le Sud de l’Etat. Entre les deux villes, nous traversâmes les forêts du Wisconsin où jusqu’en 1914 plus de cent trente millions de pigeons migrateurs venaient nicher chaque été. Victime de la chasse et de la modification de son environnement, l’espèce est aujourd’hui éteinte. Seuls une statue et le panneau explicatif d’une aire d’autoroute rendent compte de l’extinction. Un peu plus loin, au dessus des premières plaines du Dakota du Nord, planait un autre spectre : celui des milliers de bisons qui effectuaient leur migration estivale vers les grands steppes du Nord. Ils avançaient progressivement, suivant la fonte des neiges et la poussée de l’herbe. Plus que la chasse, (et aussi surprenant que cela puisse paraitre à première vue) c’est l’élevage qui faillit causer leur perte. En enfermant leurs troupeaux dans des ranchs démesurés, les propriétaires (souvent plus banquiers que fermiers) tirèrent un trait hérissé de barbelés sur leurs routes de migration. De nos jours, ce sont les autoroutes qui ajoutent de nouvelles barrières à la prairie en y déroulant leurs rubans noirs.
Au loin, les premiers contreforts des rocheuses brillaient sous le soleil. Nous suivions la vallée de la rivière Yellowstone, la laissâmes bifurquer vers le Sud et continuâmes vers l’Ouest. Apres une longue descente, Missoula apparut dans une plaine entourée de montagnes pelées.
Le lendemain, je déposai Juliet et continuai ma route vers ma destination finale, plus au Nord. J’arrivai le vendredi soir. Je tournai la clef, la voiture toussa un peu dans le nuage de poussière qu’elle venait de soulever et s’arrêta. Elle au violon, lui à l’accordéon, un couple jouait sous l’ombre d’un arbre. 3200 miles. Un jour de retard. Pas si mal.